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Cachez cet argent que je ne saurais voir !

J'ai repris la démarche que nous avions eu pour ma phobie sociale et je l'ai appliquée à ma phobie de  l'argent.
Je pense avoir le postulat qui sous-tend ce problème.
Plus exactement, je pense avoir déterminé la raison pour laquelle j'ai, un jour, arrêté de faire mes comptes : être riche, c'est mal.


En fait, les ennuis ont commencé au lycée. En cours de philo, j'ai découvert Freud. Ça m'a passionnée. Je me suis dit que la psychologie serait ma voie. Ma prof principale m'a déconseillé d'aller en psycho, elle m'a dit d'aller en médecine, car d'après elle, j'avais le niveau. Je suis donc allée en première année de médecine, d'autant que mon grand-frère avait fait la même chose, je l'ai donc suivi, et j'en étais plutôt fière.

J'ai eu le concours, mais je n'ai pas eu médecine (on choisit en fonction de son classement), j'ai eu dentaire. Je ne voulais pas dentaire, je voulais médecine. J'avais une très mauvaise image de cette profession. Appartenir à cette profession était pour moi une source d'angoisse. Je me compromettais. L'image que j'en avais, c'est que c'est une profession de nantis. Je ne voulais pas faire partie des nantis. D'après mes souvenirs, ce n'était pas bien d'être riche, c'était même plutôt mal. Je ne sais pas si c'est le catéchisme qui m'a mis dans le crâne, ou si c'était par loyauté familiale (ou loyauté de classe sociale), mes parents étaient pauvres. Être nantie c'était être du mauvais côté de la barrière.

Je suis allée en dentaire parce que mes parents, et probablement tout le reste de mon entourage, me l'ont suggéré. Je n'ai pas eu le courage d'aller au bout de mon opinion et de refuser d'y aller, parce que ce concours avait représenté tant de travail que je ne voulais en perdre le bénéfice. Et puis faire quoi d'autre ? Recommencer d'autres études ? Lesquelles ? Redemander une bourse ? Pas sûr que je l'aurais obtenue en ayant refusé d'aller en dentaire. Et puis de toutes façons, j'étais beaucoup trop paralysée par le fait que les choses ne se déroulent pas comme prévu pour me projeter dans un nouveau projet. Mais ce n'est pas ça que je voulais faire, ce que je voulais être. Je voulais être sauveuse de l'humanité, faire de l'humanitaire, sauver des vies ou être concrètement indispensable à la société. Je voulais être méritante et digne. Cela passait par le sacrifice, pas par le fait de bien gagner sa vie en ne faisant rien d'extraordinaire.

J'ai fait mes études tant bien que mal. J'ai eu le diplôme, et j'ai passé le concours d'internat, qui me permettait de rester encore quelques années dans le giron de la fac et même d'envisager d'y rester "pour toujours" par le biais d'une carrière hospitalo-universitaire.

J'ai le souvenir très présent d'avoir culpabilisé, durant mes années d'étude, parce que j'allais gagner plus que mes parents. Culpabilité qui sera d'autant plus marquée par la suite puisqu'ils m'ont toujours aidée financièrement. (Et Dieu sait qu'on a besoin de voir ses caisses renflouées quand on ne fait pas ses comptes...) J'ai aussi culpabilisé d’avoir mieux réussi mes études que mon grand-frère, qui a été longtemps mon modèle et qui a abandonné ses études de médecine à cause d'une forme de phobie scolaire.

A l'issue de l'internat, j'ai passé le concours pour être enseignante mi-temps à la fac. A ce moment-là, ma boss de la fac m'a suggéré de bosser un peu dans le privé, pour que je vois ce que c'est avant de m'engager dans la carrière universitaire. Je suis donc allée bosser mi-temps dans le privé. Je n'avais pas envie d'y aller. Je n'assumais pas d'être dentiste, j'en avais même honte. Quand je rencontrais des gens, j'avais toujours un moment d'angoisse quand ils me demandaient ce que je faisais dans la vie. D'ailleurs, la plupart du temps, je répondais "prof en fac dentaire" et pas "dentiste". Encore aujourd'hui, j'ai du mal à dire que je suis dentiste, j'ai toujours peur qu'on me juge négativement (je rappelle que je suis aussi phobique sociale).

Donc travailler dans le privé était source d'angoisse, car c'était une compromission. Je trahissais ma classe. L'argent que j'y gagnais était donc non désirable et non désiré. Je pense que c'est la raison pour laquelle j'ai arrêté de m'en occuper. "Cachez cet argent que je ne saurais voir !"

J'ai très vite arrêté de bosser dans le privé, dès que ma boss me l'a suggéré (pour faire un DEA), parce que ça ne me plaisait évidemment pas et aussi parce que je suis tombée chez quelqu'un de malhonnête qui n'a fait que renforcer l'image négative que j'avais de la profession. C'est là que je me suis embarquée temps plein dans le public, payée mi-temps, évidemment.

Je n'ai jamais recommencé à faire mes comptes. Peut-être parce qu'il aurait fallu que quelqu'un me dise de le faire (ce qui s'est passé cette année avec mon mari). Mes parents et mon grand-frère savaient que j'avais un problème avec l'argent et que je ne faisais pas mes comptes, mais comme ils sont tous phobiques sociaux, aucun d'eux n'a osé me dire que j'avais un problème et qu'il fallait le régler. Ma vision du monde a plutôt été entretenue par mon grand-frère qui n'aimait pas plus l'argent ni les riches que moi. Il était d'extrême gauche et je l'y ai rejoint, autant par angoisse de gagner de l’argent, que par conviction politique. J'ai donc eu ma période ultra-gauche altermondialiste.

Avec les années, j'ai réussi à orienter mon activité dans le sens qui me convenais : gagner peu, travailler beaucoup et être utile, voire indispensable, à la société. J'étais dans le public, mal payée et je travaillais avec une population qui m'assurait sacrifice et dignité. Je végétais financièrement et professionnellement, surfant de CDD en CDD, travaillant temps complet payée mi-temps, ne prenant pas la moitié de mes congés payés. Mais j'étais fière de moi, j'avais une bonne image de moi. Je ne me compromettais plus, j'étais digne et méritante.

Du fait de mon manque d'affirmation, je n'ai pas réussi à être titularisée (pour cela il faut savoir se vendre). Je l'ai vécu comme une réelle injustice parce que je n'ai pas été prise malgré les sacrifices que je m'étais imposés pendant près de 10 ans. La pilule fut très dure à avaler.
J'ai du retourner dans le privé.

Et puis finalement, là, je suis tombée sur quelqu'un de vraiment très bien, qui m'a appris à aimer ce métier et qui n'était pas trop regardante financièrement. Elle a renfloué mes caisses, comme le faisait ma mère auparavant.

Finalement, j'ai compris pourquoi je ne me débrouillais pas bien financièrement et pourquoi je m'étais endettée vis à vis d'elle. Dès que j'ai compris cela, je lui ai expliqué (à la demande de mon mari, moi toute seule, je n'aurais jamais osé lui raconter que je ne faisais pas mes comptes, j'aurais eu trop peur de l'image qu'elle allait avoir de moi et des conséquences). Elle a très bien compris le problème et a continué à me faire confiance.

 

Résultat :

Aujourd'hui faire mes comptes m'angoisse parce que j'ai peur que la situation, que je ne contrôle pas, soit pire que ce que j'imagine. Je les fais, et ça va de mieux en mieux, surtout depuis que j'ai découvert les Débiteurs Anonymes et que j'essaie d'appliquer leurs conseils. Le budget du ménage n'est pas encore à l'équilibre, mais il en prend le chemin. En attendant, depuis 10 ans, ma mère a renfloué mes caisses, puis ce fut au tour de ma collègue. Elles m'ont permis de ne pas me retrouver dans une situation catastrophique, mais en même temps, elles ne m'ont pas rendu service en ne me disant pas qu'il fallait que cela cesse.

L'idée de faire un emprunt m'angoisse parce que j'ai peur qu'on me le refuse (j'ai un peu le syndrome de l'imposteur).

Je ne suis toujours pas à mon compte à 38 ans, entre autres raisons, parce que j'ai peur de gagner ma vie et de faire la demande de crédit nécessaire à l'installation.

J'ai végété professionnellement pendant 10 ans. Tous mes copains de promos ont leur cabinet depuis bien longtemps. Au cours de ces 10 ans, j'ai quand-même appris beaucoup de choses qui me sont très utiles dans ma pratique quotidienne actuelle. Il faut le reconnaitre, tout ce temps passé dans le public n'a pas été perdu. Il m'a permis d'être très à l'aise avec une catégorie de la population qui est difficile à soigner et ça me permet de me sentir utile et indispensable (et un peu au-dessus de la moyenne, je dois bien l'avouer), tout en bossant dans le privé, ce qui n'est pas si mal.

Pendant des années, j'ai eu beaucoup de mal à demander de l'argent pour les soins que je prodiguais, ça me rendait malade. Aujourd'hui, ça va mieux, je me fais payer sans difficulté, largement en-dessous de ce qu'au vu de mes diplômes et compétences (du fait de mes 10 ans hospitalo-universitaires) je serais en droit de demander, mais au moins je fonctionne.

Commentaires

  • Conseillère d'orientation depuis une dizaine d'année, je m'intéresse à l'ACT pour moi et pour les étudiants que je rencontre. Je suis tombée sur votre blogue et j'admire votre générosité et votre courage de prendre soin de vous tout en en faisant profiter la communauté du WEB. J'écris rarement sur Internet de la sorte, mais j'ai envie de vous partager mon avis.
    Je n'ai pas tout lu encore, j'ai toutefois l'impression que la difficulté avec l'argent ou la gestion de votre vie financière viens du fait que vous ne percevez pas le pouvoir que vous avez dans votre vie, vous agissez encore en petite fille qui aimerait qu'on prenne en charge. Vous ne percevez pas vos ressources. C'est selon-moi relié à votre difficulté d'affirmation et aux craintes d'un sentiment d'incompétence qui y sont associé. Vous évitez toute situation où vous devez prendre vos responsabilités en cherchant à éviter les émotions qui pourraient survenir en vous y attardant.
    C'est gratuit et très rapide. Ça ressemble même à un jugement. Toutefois mon seul souhait est que vous arriviez à bien cibler votre problématique du moment.
    Amicalement.

  • Je reviens sur ce commentaire du 07 mars. Aujourd'hui on est le 04 juin.
    Je m'étais dit que j'y répondrai, voici ma réponse.
    C'est drôle que vous parliez d'agir en petite fille au sujet de mon rapport à l'argent. C'est précisément ce que me dit mon psy au sujet de mes difficultés de communication.

  • J'approuve totalement votre phrase : "la difficulté avec l'argent ou la gestion de votre vie financière viens du fait que vous ne percevez pas le pouvoir que vous avez dans votre vie, vous agissez encore en petite fille qui aimerait qu'on prenne en charge".
    Vous apportez de l'eau au moulin de ma réflexion, et je vous en remercie.

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